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Le Sénégal se trouve aujourd’hui à un carrefour historique, tiraillé entre des ambitions souveraines et des réalités économiques qui continuent de dépendre de l’extérieur. L’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, et son désir de redéfinir la souveraineté du pays sous toutes ses formes, a suscité un regain d’espoir.
Cependant, la signature d’accords de coopération avec des pays comme l’Espagne et le Qatar pour l’envoi de travailleurs sénégalais dans leurs pays respectifs soulève une question épineuse. Alors que le gouvernement proclame sa volonté d’affranchir le pays de toute forme de dépendance néocoloniale, ces accords semblent en contradiction avec l’ambition affichée de renforcer la souveraineté nationale.
L’accord Espagne-Sénégal : une promesse de travail ou de dépendance ?
L’accord signé entre l’Espagne et le Sénégal pour le recrutement d’ouvriers agricoles dans le cadre du Programme de Migration Circulaire est perçu par de nombreux jeunes comme une occasion inédite d’accéder à l’Europe. L’annonce de cet accord, relayée sur les réseaux sociaux, a entraîné une affluence impressionnante des jeunes désireux de tenter leur chance.
L’objectif est clair : envoyer des travailleurs sénégalais dans les plantations espagnoles, avec l’espoir de bénéficier d’une meilleure rémunération et de nouvelles opportunités. Pourtant, cet accord, qui semble anodin dans le cadre des relations bilatérales entre les deux pays, pose question. En effet, comment peut-on prôner une souveraineté nationale forte tout en envoyant une grande partie de la jeunesse sénégalaise chercher du travail à l’étranger ?
Les autorités sénégalaises, en signant cet accord, semblent ignorer l’impact que cela pourrait avoir sur leur discours nationaliste et leur image. Si l’objectif affiché est de renforcer la souveraineté, la réalité est tout autre : ces départs massifs de jeunes vers l’Europe viennent contredire l’idée d’une émancipation totale du Sénégal vis-à-vis de ses anciens colonisateurs. Cette incohérence fait naître une véritable tension idéologique : comment concilier un projet de nation souveraine avec un modèle économique qui repose encore largement sur l’exportation de main-d’œuvre vers des pays étrangers ?
La souveraineté nationale : entre déclaration et mise en œuvre
L’accession au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye a été marquée par des déclarations fortes sur la nécessité de renforcer la souveraineté nationale. Le gouvernement a d’ailleurs multiplié les actions symboliques, comme la commémoration des massacres de Thiaroye, et a pris des mesures comme la fermeture de bases militaires étrangères sur le territoire sénégalais. Ces initiatives ont été accueillies favorablement par la population, qui y a vu un signe d’une volonté politique de s’affranchir des chaînes de la dépendance néocoloniale.
Cependant, la signature de l’accord de migration circulaire avec l’Espagne semble en contradiction avec cette dynamique souverainiste. En effet, encourager l’émigration, surtout dans des conditions précaires comme celles qui existent souvent dans les secteurs agricoles espagnols, apparaît comme une forme de dépendance continue vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Cette démarche semble ainsi miner la légitimité des efforts du gouvernement pour émanciper véritablement le pays.
Le paradoxe est d’autant plus flagrant lorsqu’on entend les discours du Premier ministre et des leaders du pouvoir, qui incitent les jeunes à rester au pays pour participer à sa construction. L’envoi massif de jeunes travailleurs à l’étranger pour des emplois peu qualifiés apparaît alors comme une défaite de ces aspirations à construire un Sénégal autonome, prospère et indépendant.
Une jeunesse désillusionnée et une gouvernance en déphasage
Les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des milliers de jeunes qui se précipitent pour soumettre leur dossier de candidature, un phénomène qui témoigne de la frustration croissante des jeunes Sénégalais face à un manque d’opportunités d’emploi. Ces jeunes, dans leur quête du « Graal » européen, ne cherchent-ils pas simplement à échapper à un système économique national qui ne leur offre guère d’avenir ?
Le tribunal de Dakar, en surchargé, illustre également la confusion qui règne autour de cette démarche : les jeunes viennent chercher des casiers judiciaires pour compléter leurs dossiers et, dans une grande précipitation, espèrent être choisis pour partir à l’étranger. Cette scène, à la fois tragique et déconcertante, met en évidence le décalage entre le discours souverainiste du gouvernement et les actions concrètes qui semblent au contraire encourager l’exode.
Le gouvernement, au lieu de créer des conditions propices à l’épanouissement de sa jeunesse sur place, semble jouer un rôle paradoxal, d’un côté promoteur de la souveraineté nationale, et de l’autre facilitateur d’une émigration qui ne fait que renforcer la dépendance économique du pays. Il devient ainsi urgent de repenser la stratégie de développement du Sénégal pour offrir des opportunités aux jeunes sans les contraindre à partir à l’étranger